mardi 23 février 2010

L’Ecole et l’Entreprise : un divorce à l’amiable

L’Entreprise, cette grande inconnue, deuxième cellule par importance après la cellule familiale, est une composante de base de l’organisation de notre société. On ne peut pas comprendre notre monde si l’on ne comprend pas le fonctionnement de l’Entreprise. C’est la seule cellule créatrice de richesses et c’est dans l’Entreprise que l’homme se réalise par son travail. Et pourtant, nulle part l’Entreprise n’est enseignée si ce n’est dans les Ecoles de commerce. Régulièrement le débat sur l’enseignement de l’Entreprise dans le tronc commun au lycée prend l’allure d’une maladie endémique.
Dans sa chronique du Figaro du 10 février 2010, Jean-Pierre Boisivon (professeur émérite d’économie à l’université Paris II Panthéon Assas) nous dit que « la FNEGE (Fondation Nationale pour l’Enseignement de la Gestion des Entreprises) a commandé un test de connaissances réalisé auprès de 1000 français représentatifs de la population adulte. Les résultats ont confirmé les craintes que l’on pouvait nourrir. Seulement 10% des personnes interrogées pouvaient prétendre obtenir la moyenne alors que la plupart des questions portaient sur des notions indispensables pour participer au débat public : 1/3 des personnes interrogées confondaient chiffre d’affaires et bénéfice ; une majorité des 2/3 estimait que le dividende représentait la valeur de l’action ou la plus-value réalisée ou encore la redevance que doivent payer les sociétés cotées en Bourse ».
Alors, pourquoi au lycée n’enseigne-t-on pas l’Entreprise dans le tronc commun ? Je vois deux raisons à cela.
Parce que pour l’ Education Nationale, l’enseignement de l’Entreprise serait une entorse grave à sa neutralité, une initiative malsaine et douteuse à la limite d’une propagande pour l’économie de marché et pour le système capitaliste. Combien de fois n’a-t-on pas entendu dire que l’Ecole n’était pas au service de l’Entreprise !
Et pour d’autres qui adhèrent au capitalisme on n’est pas trop pressé de mettre à la portée de tous les « subtilités » du libéralisme et ses excès qui pourraient donner de mauvaises idées et des arguments pour remettre en question le système…
Ces deux raisons diamétralement opposées font qu’il y a une entente tacite cordiale entre l’Education nationale et le patronat pour que l’Entreprise ne soit pas enseignée en tronc commun dans les lycées. Qu’il s’agisse de ministres de droite ou de gauche, rien n’a évolué. Ne cherchons pas plus loin pourquoi les débats politiques tournent en rond et se transforment en dialogues de sourds : même les intéressés ont du mal à comprendre les logiques de l’économie et du système libéral faute d’avoir appris l’Entreprise.
Faut-il suivre une filiale économique ou faire une Ecole de commerce pour connaître les différences entre une Scop, une Sarl et une Sa , pour comprendre la loi du marché, le fonctionnement de la Bourse, le retour sur investissement, le rôle et le fonctionnement des syndicats, les mécanismes d’un dépôt de bilan ? Ne s’agit-il pas là d’informations qui devraient être à la portée de tous et faire partie de l’enseignement de base ? Informations qui nous sont utiles, quel que soit notre parcours, ne serait-ce que pour comprendre le monde dans lequel nous vivons.

4 commentaires:

  1. Les enseignants ne refusent pas que le monde de l'entreprise soit enseigné au lycée et sont unanimement (me semble-t-il) d'accord pr dire que les concepts clefs et les définitions de mots lus ds les journaux ts les jours("bourse", "inflation", "part de marché", "actionnaire", "dividende", etc...) doivent être maîtrisés par les lycéens. Ce que beaucoup de profs de Sciences Economiques ET Sociales réclament, c'est le maintien de la problématique sociale ds leur enseignement, et la formation des élèves à l'esprit critique et à leur participation au débat démocratique (ainsi que le maintien de l'horaire actuel et des heures en demi-groupes, qui disparaissent avec la réforme des secondes...).

    Je citerai l'article de Stéphane BEAUD (professeur de sociologie à l'ENS-ULM) paru ds "libération" le 8/02 (article intitulé "lycée: éco sans socio n'est que ruine de l'âme"):
    "en réduisant de moitié l'horaire d'enseignement des SES en seconde, en supprimant ts les aspects de la réalité sociale qui peuvent désespérer le lycéen, il s'agit d'imposer une vision réductrice et tronquée du monde réel ds lequel ns vivons. [...] Surtout ne plus parler en classe de ce qui fâche ou apparaitrait comme négatif (chômage, inégalités de revenus ou de destin, ségrégation urbaine, etc.). Surtout ne plus voir l'entreprise telle qu'elle est: avec des hommes et des femmes, des chefs et des subordonnés, avec une hiérarchie et des relations sociales au travail. Taire le stress au travail, les maladies professionnelles (pourquoi le scandale de l'amiante?)[...].
    Cela fait des années que certaines officines du Medef planchent sur le sujet: en finir avec une conception des sciences écos au lycée qui vise à appréhender les phénomènes économiques ds leur encastrement social et leur historicité [...]
    La réforme des SES met en péril le devenir de la filière éco et sociale dans le lycée de demain. Attirer des élèves de 15 ans avec les délices des courbes de coût ou d'utilité est tout simplement voué à l'échec. De tels programmes ont déjà largement contribué à vider les premiers cycles universitaires en sces écos. Renouveler la même erreur au lycée confine à l'absurde. Si les IEP ou khâgnes BL st aujourd'hui si attractifs, c'est du fait de leur programme ouvert en sces sociales (éco, socio, histoire contemporaine).

    Les sciences SOCIALES ont cette vertu, indispensable en démocratie, de donner à voir la réalité sociale telle qu'elle est, et non pas telle que le pouvoir, ou les pouvoirs, souhaiteraient qu'elle soit".

    L'école doit pouvoir enseigner le monde de l'entreprise (culture commune à TOUS les lycéens), mais n'est pas au service du pouvoir.

    Aurélie Privat

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  2. Jacques BENOIT9 mars 2010 à 00:40

    J'ai bien compris dans ton commentaire que les enseignants ne refusaient pas que l'entreprise soit enseignée au lycée mais qu'ils voulaient aussi qu'on aborde les aspects de la réalité sociale (inégalités, chômage, etc.) et je suis tout à fait d'accord avec toi.
    Par contre je suis un peu moins certain qu'il y ait vraiment une volonté d'enseigner l'entreprise au lycée...
    Tu termines ton commentaire en disant que l'Ecole n'est pas au service du pouvoir.
    A ce sujet, je voudrais te poser trois questions :
    - l'Ecole, elle est au service de qui ?
    - le pouvoir, il est au service de qui ?
    - quelle conclusion tires-tu de tes deux réponses ?
    Merci de l'intérêt que tu portes à ce blog et de ton commentaire très pertinent qui fait avancer le débat. N'est-ce pas le but du blog ?

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  3. aurélie Privat13 mars 2010 à 08:50

    Merci pour ta réponse.
    L'un des buts de l'école est de former le citoyen, de lui donner les clefs pour comprendre et analyser la société dans laquelle il vit, et de l'"élever" en lui offrant l'accès au(x) savoir(s). L'école serait donc au service du citoyen, de la société, du mieux vivre ensemble en inculquant une culture et des valeurs communes ("le socle commun de connaissances" des programmes éducatifs).
    Le pouvoir (et je me rends compte que cette notion est très vague: de quel pouvoir parle-t-on?)...Si l'on se réfère au pouvoir politique dans une démocratie, il est aussi au service du citoyen et de la société. Pr le pouvoir économique, cela devrait être la même chose.
    Je pense que tu seras d'accord avec moi et que ce sont les deux réponses attendues...
    Restons donc vigilants pour que ce "service" rendu au citoyen soit fait autant que possible dans un esprit éthique et désintéressé!Concrètement, nous savons pertinemment que le cours sur l'entreprise aura un impact différent sur les élèves selon son contenu, son orientation et les problématiques abordées! Et montrer aux jeunes que la vision que l'on a du monde dépend du prisme avec lequel on l'aborde (et mettre en parallèle des théories ou des visions différentes afin que le jeune se forge une pensée) est l'un des plaisirs de l'enseignant!

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  4. On est tout à fait en phase et ta réponse est des plus honnêtes ; j'aurais été surpris si tu m'avais dit que le pouvoir est au service du capital (bien que cela soit aussi parfois vrai). Le risque de dérapage que tu signales sur l'enseignement de l'économie et l'entreprise est également valable dans d'autres matières telles que l'histoire et la géographie par exemple ; faut-il pour autant ne pas les enseigner ? Alors, faisons confiance aux professeurs pour être objectifs dans l'enseignement de l'économie et de l'entreprise si tant est qu'elles soient enseignées un jour au lycée !

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Bienvenue !

Le 4 avril 2009 à Londres se sont réunis les chefs d'état des pays les plus riches de la planète : le G20. L'ambition affichée était de refonder le capitalisme (cf. N. Sarkozy). En fait de refondation, nous avons eu droit à un ravalement. On connaissait le bluewashing, le greenwashing, maintenant nous connaissons le whitewashing.
Le G20 a montré du doigt les paradis fiscaux et a remis en question les bonus des patrons. Mais nous l'avons bien compris : rien de fondamental pour le capitalisme dont la pierre angulaire est la loi du plus fort.
Il y a donc urgence à faire émerger des idées concrètes pour refonder le capitalisme et donner de l'espoir à ceux qui se refusent politiquement parlant d'avoir à choisir entre une droite qui fait allégeance complète au capitalisme, une gauche en panne d'imagination et une ultragauche en pleine utopie.
Voilà tout l'objet de ce blog : exprimer des idées, réagir, commenter ...